Le but de cet article ne vise en aucun cas à dissuader quiconque d’entreprendre une action solidaire en laissant entendre que l’humanitaire est réservé aux seuls professionnels. L’objectif réside dans la démonstration qu’une bonne volonté pure ne suffit pas, voire peut être risquée. Il s’agit de souligner que toute démarche solidaire ou humanitaire doit être méticuleusement réfléchie afin d’assurer sa durabilité et sa pertinence pour les bénéficiaires.

Le volontariat international, né dans les années 1960, a initialement cherché à relever un double défi : agir en solidarité envers les individus les plus vulnérables tout en formant les engagés pour les transformer en acteurs du changement.

Depuis les années 2000, un enthousiasme marqué pour ces missions à l’étranger a émergé, amplifié par l’avènement des réseaux sociaux et les tendances narcissiques qui en découlent parfois.

« Faire du volontourisme c’est une contradiction bizarre entre de l’égoïsme et de l’altruisme. » Megan Agnew

En 2017, 40% des Français de moins de 35 ans se déclaraient prêts à s’engager pour des missions internationales (sondage : « Les Français et les engagements volontaires et solidaires à l’international », France Volontaires/Courrier International/Opinion-Way, novembre 2017, source : France Volontaires).

 

Le volontourisme.

 

L’engouement pour le volontariat s’accroît, mais le nombre limité d’opportunités à l’étranger a donné lieu à des alternatives exploitant la quête de sens des individus qui désirent s’engager, parfois moyennant des sommes considérables, pour des projets ayant, dans le meilleur des cas, un impact insignifiant sur le terrain, et dans le pire des cas, des conséquences préjudiciables tant pour les communautés que pour les volontaires eux-mêmes.

 

« Le problème, c’est que les propositions du volontourisme répondent à ce que les jeunes des pays riches ont envie de faire, et pas aux vrais besoins ! » tilt.fr

 

Cette tendance, désignée sous le terme de « volontourisme », fusionnant « volontariat » et « tourisme« , révèle des pratiques problématiques, où des organisations fondent leur modèle économique sur les profits tirés de séjours payants d’engagement volontaire. Ces approches, souvent au détriment de l’intérêt général, contreviennent aux principes de qualité du volontariat. La marchandisation croissante du secteur conduit à des dérives aux conséquences parfois graves pour les communautés d’accueil et les participants.

Les offres de « voyage solidaire », « tourisme humanitaire » ou encore « missions solidaires » se multiplient, et certaines organisations à but lucratif exploitent cette niche dans une optique commerciale, souvent au détriment des populations.

Les organisations de volontourisme offrent fréquemment des missions spécifiques, accessibles sans compétences ou diplômes appropriés. Cela serait pourtant inconcevable de les réaliser en France ou dans les pays occidentaux dans de telles conditions. Les enfants sont le meilleur exemple de ce type de dérive.

Éducation :

Des Français, se prétendant enseignants d’anglais au Vietnam sans avoir les compétences nécessaires, offrent aux enfants des cours monotones et peu conformes aux standards éducatifs locaux. Les contenus des leçons, variant d’une année à l’autre selon les volontaires, ne contribuent guère au développement intellectuel des enfants. Dispensés par des personnes souvent étrangères à la langue locale et peu familiarisées avec les cultures locales, ces cours négligent également la collaboration avec le personnel enseignant local pour transmettre des compétences.

Santé :

Des étudiants infirmiers en stage au Sénégal peuvent être conduits à effectuer des actes médicaux qui dépassent leurs compétences, comme des accouchements. Ces interventions dans le domaine de la santé, bien que réalisées avec de bonnes intentions, peuvent entraîner des situations de maltraitance et mettre en péril la vie des personnes concernées.

Orphelinats :

La croissance de la popularité du volontariat en orphelinat a alimenté une industrie exploitative, utilisant les enfants et les bonnes intentions des individus à des fins lucratives.

La présence accrue de volontaires crée une demande artificielle d’orphelins, incitant certains directeurs d’orphelinats à recruter des enfants dans les régions les plus pauvres, contre une rémunération aux familles et la promesse d’une éducation « adéquate » pour leurs enfants. De manière délibérée, certains directeurs maintiennent des conditions de vie précaires dans leurs établissements pour susciter la pitié et encourager les dons financiers des touristes étrangers, marchandisant ainsi les enfants.

Dans 80% des cas, les enfants substitués à des orphelins ne le sont pas réellement selon Friends International. Par exemple, au Cambodge, le nombre d’orphelinats a augmenté de 60% entre 2005 et 2015 à Siem Reap et Phnom Penh. Au Népal, 80% des orphelinats se trouvent dans les trois villes les plus touristiques du pays. Certaines agences inventent même des situations dramatiques pour attirer des bénévoles, en créant de faux orphelinats insalubres remplis d’enfants qui ne sont pas réellement orphelins, parfois arrachés à leurs parents pour un sou.

Le pire étant souvent que les enfants élevés dans ces établissements subissent un changement constant de volontaires qui exacerbe ou déclenche des troubles de l’attachement et de l’abandon déjà présents chez certains enfants, compromettant alors leur bien-être émotionnel et psychologique et créant des blessures et traumatismes à vie.  Ils rencontrent des difficultés plus importantes pour se réinsérer dans la société à l’âge adulte, et leur développement intellectuel est notablement ralenti par rapport à ceux évoluant au sein d’une famille. En effet, France Volontaires estime qu’à chaque période de trois mois passée dans un orphelinat, un enfant en bas âge perd un mois de développement.

De nombreuses institutions locales reposent quasiment intégralement sur les missions de volontariat et les dons de donateurs privés ou de touristes de passage pour assurer leur survie financière.

 

« C’est extrêmement prétentieux, voire néo-colonialiste, de penser qu’on sera plus en capacité de construire un puits que les habitants d’un village, alors que l’on est dentiste. » Chloé Sanguinetti réalisatrice du documentaire « The Volontourist »

 

Inconsciemment, le volontourisme, particulièrement lorsqu’il se concentre sur le bénévolat de courte durée, favorise la corruption, les mauvais traitements infligés aux enfants, voire même la traite d’enfants. Ainsi, le volontourisme n’aide pas les populations locales mais les exploite en les maintenant dans la pauvreté.

Le volontourisme est finalement une illusion « humanitaire » qui reprend les codes de grandes ONG avec des volontaires professionnalisés et formés. L’exemple le plus marquant est le géant du volontourisme Projects Abroad, une entreprise se présentant comme une agence de volontariat dans les pays en développement, une stratégie lucrative bien connue pour maximiser les profits. Le coût de ces programmes varie entre 1000 et 3000€ pour une durée de deux semaines, hors frais de billet d’avion. Leurs annonces en ligne, par exemple, mentionnent des offres du type « Volontariat International, départ de dernière minute accepté ».

 

En somme, l’univers du volontourisme, paré de bonnes intentions, révèle des facettes obscures qui exigent une réflexion approfondie. Derrière la façade altruiste se cachent des pratiques parfois exploitantes, mettant en péril tant les communautés locales que les volontaires. La nécessité d’une approche éthique et réfléchie devient impérative pour éviter les conséquences néfastes de cette tendance. Le voyage solidaire ne peut être véritablement constructif que s’il s’appuie sur des bases éthiques, une préparation minutieuse, et une quête sincère d’impact positif. En scrutant au-delà des illusions, il appartient aux volontaires et aux organisations de redéfinir leurs pratiques et de promouvoir un engagement authentique et durable.

Découvrez des alternatives et autres précautions dans le prochain article : « Passer du volontourisme à un volontariat éthique et respectueux : nos conseils. «